Interview de Carlo Guy – Mixologue à Londres
Nous avons rencontré Carlo, créateur de cocktails, à New York l’été dernier au « Bathtub Gin » dans le quartier de Chelsea – Mahnattan. De retour à Londres, nous lui avons posé quelques questions sur son métier de bartender (mixologue) et sur son expertise des spiritueux… Un regard atypique et intéressant !
Carlo Guy – 28 ans – Royaume Uni
1. Peux-tu nous parler de ton métier ? Comment l’as-tu choisi ? Depuis quand et pourquoi ? Existe-t-il des écoles ou des instituts où apprendre ton métier ?
A l’issue de mes études universitaires, il y a 7 ans, je suis devenu consultant en environnement, mais j’ai été rapidement licencié à cause de la crise.
Avec des factures à payer et un appartement en plein centre-ville, j’ai mis mon blazer et un noeud papillon et je suis allé dans un des meilleurs bars à cocktails de la ville où j’ai demandé si je pouvais avoir un job pour me faire un peu d’argent.
A ma grande surprise, ils m’ont dit que je pouvais travailler derrière le bar et qu’ils allaient m’apprendre ! Je n’ai pas quitté le métier depuis !
Donc d’une certaine manière, c’est le métier qui m’a choisi, plutôt que l’inverse.
Il y a bien sûr des écoles pour ça, mais d’après moi, la meilleure façon d’apprendre est encore le terrain : choisir un bon bar avec un bon menu, où l’on pourra s’entraîner à créer des cocktails, en apprenant la théorie et la pratique.
En revanche, ils ne vous doteront pas d’une personnalité, alors assurez-vous d’en avoir une bonne !
2. Depuis quand peut-on parler de démocratisation de la mixologie ? N’y a-t-il pas un gros phénomène de mode autour de ce métier de plus en plus prisé ?
La popularité des cocktails « de masse » date seulement de 10, 15 ans. Les bars comme « La part des anges » (New York) ont été des pionniers dans la réinstauration des cocktails en ville !
Être un bartender ou un mixologiste est très en vogue. Partout où j’ai vécu et travaillé, que ce soit à New York ou à Londres, j’ai eu le privilège d’être impliqué dans cette communauté de bartender. Où que tu ailles, les gens te connaissent comme « le gars de derrière le bar », ce qui présente pas mal d’avantages : des verres gratuits, un dîner offert, et parfois même des prix sur des vêtements et des coupes de cheveux !
Je trouve, et la plupart des barmens seraient d’accord, que quand tu travailles derrière le bar, ça devient notre scène et l’on se « transforme » en mini rock stars ou autre artiste avec qui toutes les filles veulent être, et que tous les mecs aimeraient être. C’est un métier très volage !
Toutefois, aujourd’hui, et surtout depuis l’expansion de la culture hipster, certains s’improvisent barman ou mixologiste parce que ça fait « cool » et que c’est branché. Mais en réalité, ces personnes ne connaissent rien au sens du service et ignorent tout de l’industrie du cocktail.
3. Compte tenu de la complexité d’élaboration de certains cocktails utilisant des ingrédients de plus en plus variés et originaux, peut-on comparer aujourd’hui les mixologues à certains grands chefs étoilés ?
Oui, en effet, c’est ce que je crois. L’étendue de l’expérience et le renouvellement nécessaire à la création de cocktails sont infinis. J’ai dû lire beaucoup de livres et apprendre auprès des meilleurs barmen du métier pour en arriver où j’en suis.
N’importe quelle personne ne pourrait pas passer derrière le bar et faire un cocktail bien équilibré avec du scotch ou du gin. Certes, ils pourraient faire des petits mélanges fruités et sucrés à la maison, qui auraient le bon goût de fraise ; mais encore une fois, ce n’est pas parce que je peux faire une bonne omelette que je peux prétendre être un chef !
Ce que je ressens, c’est que la profession n’est pas très respectée, surtout au Royaume Uni. Plusieurs fois, je suis sorti avec des filles dont j’ai rencontré les parents, et ils me demandaient toujours ce que je faisais dans la vie. Quand je leur répondais que j’étais barman, je voyais leur échange de regard comme s’ils se disaient « oh mon dieu, notre fille sort avec un barman sans valeur ». Alors que si je leur avais répondu que j’étais un patron, leur réaction aurait été très différente !
A New York, être barman est beaucoup plus valorisé et respecté, et souvent, ils se font plus d’argent que des médecins et peuvent bosser jusqu’à 60 ans !
4. Qu’aimes-tu le plus dans ton métier ?
D’abord, et ça peut paraître un peu ringard, j’adore rencontrer des gens et développer des relations à court ou long terme. Je rencontre des centaines de nouvelles personnes chaque jour qui m’offrent toujours une anecdote amusante ou des histoires intéressantes et singulières.
Ensuite, j’adore être payé pour ma créativité ! Certaines personnes bossent non-stop de 9h à 17h devant un ordinateur avec les mêmes collègues. Tandis que moi, je conçois de nouveaux cocktails et je peux lire sur le visage des clients qui les goûtent ce que ça leur fait !
Enfin, j’adore terminer de travailler très tard dans la nuit et pouvoir profiter d’une ville comme New York ou Londres sans pâtir de la foule ou de l’agitation diurne. Avoir la chance de rentrer à la maison à pieds ou en vélo quand la ville est en paix, c’est comme ressentir que la ville m’appartient, pendant ces 20 minutes à pédaler jusque chez moi…
5. Avec quel type d’alcool travailles-tu habituellement pour la confection de tes cocktails ?
Tous les spiritueux peuvent être utilisés pour créer des cocktails équilibrés. J’ai travaillé dans des bars à Gin, Tequila, Whisky, Rhum et Vodka, où la majorité des cocktails doivent être fait de ces spiritueux en particulier.
Les spiritueux que je préfère utiliser sont le Gin et l’American Whisky, avec un style de cocktails à la « prohibition », car je trouve qu’ils offrent des saveurs plus complexes et que la véritable saveur du spiritueux n’est pas masquée par les jus. Pour moi, le meilleur cocktail ne fait pas plus de 3 ou 4 ingrédients, pour que la saveur du spiritueux soit complétée et non pas noyée.
6. Selon toi quel est l’intérêt d’utiliser de la vodka plutôt qu’un autre spiritueux pour la confection de cocktails ?
J’utiliserais la vodka de 2 façons pour des cocktails :
- Pour un buveur expérimenté, je ferais quelque chose comme le Martini où le profil des saveurs de la vodka est amélioré avec une touche de vermouth. La vodka est très délicate et nécessite d’être traitée avec justesse. Des cocktails équilibrés et délicats peuvent être réalisés avec la vodka.
- D’autre part, pour un client de 21 ans non amateur de spiritueux, j’utiliserais la vodka avec beaucoup d’autres ingrédients pour masquer le goût de l’alcool auquel les plus jeunes buveurs ne sont pas habitués. Comme la vodka est très délicate, elle peut se mixer facilement en cocktail, où son goût n’est pas aussi imposant qu’un scotch.
La vodka est définitivement un alcool festif !
7. Statistiquement, combien de cocktails crées-tu avec la vodka, comparé aux autres alcools ?
J’estime que la consommation des cocktails à base de vodka était énorme il y a 10-20 ans. Grâce à des boissons comme « le cosmopolitan » les ventes de vodka ont été re-boostées ; la série « Sex in the city » a probablement aidé aussi !
En revanche, la Tequila, le Rhum et le Whisky ont eu un énorme essor de popularité !
Je pense que la vodka fait en ce moment son come-back dans le monde du cocktail avec des vodka plus personnalisées, savoureuses et stylées.
En Angleterre et aux Etats-Unis, tout le monde boit de la vodka et des cocktails à base de vodka (surtout les femmes). Je dirais que 80% des cocktails mixés sont faits avec de la vodka. Le reste étant principalement à base de Gin, de Rhum et de Whisky.
Cependant, dans le monde du cocktail, je dirais que le pourcentage est très différent pour la vodka, tenant une moindre part. Sûrement dû aux choix des barmen d’utiliser des spiritueux plus complexes à la place de cette dernière pour créer des menus.
8. Qu’en est-il de tes goûts ? Y a-t-il un spiritueux que tu aimes plus qu’un autre ?
Il y a un temps et lieu pour chaque spiritueux à mon sens. Un peu comme une entrée, un plat, ou un dessert.
J’aime commencer une soirée avec quelque chose de sec et délicat comme un « Negroni classique » ou un « Vesper Martini » ou tout simplement un « Gin Tonic ». Et poursuivre ensuite avec quelque chose de plus chaud et lourd comme un bon « Bourbon » ou un cocktail de whisky de seigle.
J’aime toutes les catégories de spiritueux, ou du moins je les apprécie. Mais bien qu’étant dans l’industrie du cocktail, parfois une simple bouteille de bière européenne bien fraîche avec un petit shot est tout ce dont j’ai envie ou besoin.
9. Quel est ton point du vue sur la mixologie molléculaire ? La pratiques-tu ?
J’ai travaillé en mixologie molléculaire, avec l’utilisation de la neige carbonique, les mousses assaisonnées, l’infusion, l’assaisonnement au le caviar alcoolisé. Mais je pense que c’est un peu un effet de mode qui n’apporte bien souvent rien à la boisson, si ce n’est l’effet spectaculaire !
Si un de mes amis me demandait de lui préparer un beau cocktail moléculaire, je lui ferais sûrement un bourbon infusé au lard et à l’érable. Si un groupe de filles souhaitait quelque chose d’excitant, j’utiliserais de la neige carbonique et tacherais de mettre le feu à un élément pour provoquer la surprise !
10. Nommes-tu tes cocktails ? Parles-nous de ton inspiration ! Comment te vient-elle ?
Le plus dur dans la création d’un cocktail est bien souvent de le nommer ! Ca ne me prendra que très peu de temps pour créer une bonne boisson, mais des semaines pour la nommer ! Certains barmen choisissent des noms simples et courts qui n’ont aucune pertinence avec la boisson, jouant la sécurité pour ne pas dissuader les clients d’en commander.
Moi, j’aime les noms plus longs et originaux, souvent inspirés d’une histoire personnelle que les clients ne découvrent que s’ils demandent.
J’ai créé un cocktail que j’ai appelé « Cosmo and the pond » (Cosmo et l’étang) :
- J’ai un frère jumeau qui s’appelle Cosmo. Quand on était jeunes, on jouait dans le jardin et un jour il est tombé dans l’étang. Ce n’était pas très profond mais il était recouvert d’eau de Lilly et complètement trempé quand il est ressorti.
Le cocktail que j’ai créé à partir de cette anecdote contient des ingrédients du jardin comme la fleur de sureau, le concombre, du basilic, du citron vert, du pamplemousse amer, du vin de Xérès et du Gin.
Une autre boisson que j’ai inventé « When John met Yoko » (Quand John rencontre Yoko) :
- C’était une boisson pour un bar à Liverpool, en référence à John Lennon qui avait connu une influence asiatique ; ce cocktail était fait de pousses de haricots, de gingembre, de cardamone et de whisky japonais.
11. Où aimerais-tu travailler ? Y a-t-il un endroit ou une personne avec qui tu aimerais travailler ?
J’ai déjà réalisé mon rêve d’être barman à New York, mais j’aimerais beaucoup travailler à Londres au « Savoy » (célèbre bar à cocktails londonien).
Des noms célèbres pour lesquels j’aimerais travailler seraient Tony Conigliaro, Jim Meehan, Audrey Saunders et Arun Young.
12. As-tu déjà réalisé un cocktail bleu ? Si oui lequel ? Comment l’appelles-tu et que contient-il ?
Les cocktails de couleur bleue étaient très célèbres dans les années 80 et 90. Ils sont un peu obsolètes maintenant, mais j’en ai pourtant créé un :
Il s’appelle le « Fifty shades of Wray » / « 50 nuances de « Wray » (du nom du rhum) :
- Ajoutez 15ml de Rhum « Wray and nephew » et une cuillère de sucre roux dans une casserole chauffée
- Dans un shaker, agitez de la noix de muscade et de la cannelle sous les flammes
- Ajoutez 30ml de Rhum eldorado 3 ans d’âge (ceci éteindra les flammes)
- 22 ml de Curaçao bleu
- 7ml de Pisang Ambon
- 15ml de jus d’ananas
- 15ml de citron
- 1 trait d’orange et 1 trait d’angustora amer
- Disposer un bâton de cannelle pour la garniture
Ou bien le « XXX in the city » / « XXX dans la ville » (en référence aux boissons bleues dont le bleu est souvent employé pour décrire les films pour adultes. La boisson est aussi un détournement du Cosmo de Sex & the City) :
- 5 grains de raisin blanc mélangés
- 30ml de vodka COBALTE
- 15ml de Curaçao bleu
- 7ml de liqueur de fleur de sureau
- 7ml de jus de pomme
- 15ml de jus de citron vert
- 1 trait de citron amer
- Secouez vivement et versez le tout dans une coupe ou un verre à Martini
- Garniture : de l’huile d’orange (se débarrasser du zest) et 3 raisins blancs pré-gelés et embrochés à l’intérieur du verre
Autre cocktail, le « Blue eyed girl » / « La fille aux yeux bleus » (détournement d’une dame blanche et d’une vodka aigre) :
- 45ml de vodka COBALTE
- 15ml de Curaçao bleu
- 22ml de jus de citron
- 1 trait de sirop de sucre
- 1 blanc d’oeuf
- Secouez sèchement, puis secouez en ajoutant la glace
- Avec délicatesse, versez le tout dans une coupe avec des essences de citron (sans le zest)